Depuis ce 1er mai 2025, les loyers dits « abusifs » sont interdits à Bruxelles, tant pour les baux d’habitation futurs que pour ceux déjà existants.
Ainsi en a décidé la majorité des parlementaires bruxellois le 4 avril 2025, lors d’une séance particulièrement chahutée.
On comprend aisément la tension qui a pu exister au Parlement car le vote, intervenu en affaires courantes, est clairement d’une extraordinaire importance puisqu’il vise, ni plus ni moins et pour la première fois, à mettre en place de facto un encadrement des loyers à Bruxelles, de manière contraignante.
Selon les chiffres officiels, la Région de Bruxelles-Capitale compte environ 1.250.000 habitants, dont un peu plus de 60 % de locataires (toutes communes et tous biens confondus, même si des divergences significatives existent d’une commune à l’autre, ainsi qu’en fonction du bien d’habitation – maison ou appartement –).
L’ordonnance adoptée par le législateur bruxellois, visant à mettre en œuvre l’interdiction des loyers dits « abusifs », peut dès lors toucher potentiellement 750.000 locataires et bailleurs. D’après certains chercheurs de l’ULB, environ 20 % des baux bruxellois seraient concernés.
Face à l’importance de la mesure votée, les médias de tous bords se sont évidemment emparés du sujet depuis plusieurs semaines, en amont de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation ce 1er mai 2025.
Les divers articles de presse publiés révèlent toutefois, à maints égards, un manque de précision, voire parfois une certaine confusion, en raison sans doute du caractère souvent trop général des médias mainstream.
La présente note a pour objet, d’une part, d’exposer de manière plus précise et complète la genèse et l’historique de la réforme, et, d’autre part, d’examiner objectivement les éléments constitutifs de la « grille indicative des loyers » et du « loyer de référence », permettant au législateur bruxellois de déterminer une présomption de caractère « abusif » ou non d’un loyer. L’analyse se clôture par quelques réflexions personnelles et observations critiques sur la nouvelle réglementation.
1. Genèse et historique de la réforme
C’est sans doute un truisme que de rappeler que le législateur bruxellois, sous la dernière législature, s’est montré particulièrement prolixe s’agissant de nouvelles règlementations en matière de logement.
Le 28 octobre 2021, il avait ainsi notamment voté une importante ordonnance « visant à instaurer une commission paritaire locative et à lutter contre les loyers abusifs ».
Partant du constat que « la Région bruxelloise, comme d’autres grandes villes européennes, subit depuis plusieurs années une crise de l’accessibilité du logement abordable », le but poursuivi par le législateur bruxellois via cette ordonnance était principalement « de limiter les comportements abusifs dans le strict respect des droits constitutionnels des propriétaires et d’atteindre un juste équilibre entre les intérêts du bailleur qui met un bien décent en location et du preneur qui paie une contrepartie financière juste et raisonnable », ce même législateur estimant que « la protection des intérêts des locataires dans une situation caractérisée par une pénurie de logements décents et abordables en assurant un accès à des logements à loyer raisonnable constitue un objectif légitime de politique sociale ».
L’entrée en vigueur partielle, le 2 décembre 2021, de l’ordonnance du 28 octobre 2021
Une partie des articles de cette ordonnance du 28 octobre 2021 est entrée en vigueur le 2 décembre 2021 (art. 14, alinéas 1 et 2, de l’ordonnance).
Il s’agit, outre les articles formels 1 et 2, des dispositions suivantes :
L’article 3 de l’ordonnance, qui a inséré officiellement à l’article 2, § 1, 36° et 37°, du Code bruxellois du Logement du 17 juillet 2003 (ci-après : le Code bruxellois du Logement ou le CBL), les notions de « grille indicative des loyers » et de « loyer de référence ».
Cette « grille indicative des loyers » (article 2, § 1, 36° du CBL) figurait déjà dans l’arsenal législatif bruxellois, depuis une ordonnance du 27.07.2017 (entrée en vigueur le 01.01.20218), instituant un article 225 dans le Code bruxellois du Logement, libellé comme suit :
« Le Gouvernement arrête une grille indicative de référence des loyers à laquelle pourront se référer les parties, sans que cela ne constitue une contrainte supplémentaire pour le propriétaire.
Cette grille de loyers est construite sur la base de critères internes et externes au logement tels que sa localisation, son état, sa superficie habitable ou le nombre de pièces existantes. Le Gouvernement peut également prévoir que les loyers qui ressortent de cette grille soient majorés ou minorés en fonction d’autres critères comme la présence d’éléments de confort ou d’inconfort particulier. Elle est aisément accessible au public ».
Quant au « loyer de référence » (article 2, § 1, 37° du CBL), le législateur bruxellois l’a défini comme étant « le loyer médian repris dans la grille indicative des loyers pour le bien visé, instituée par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 octobre 2017 instaurant une grille indicative de référence des loyers » (l’on s’attardera évidemment longuement ci-après sur cet arrêté du Gouvernement de 2017, et ses adaptations en 2022).
L’article 4 de l’ordonnance, qui a inséré dans le Code bruxellois du Logement de nouveaux articles 107/1 à 107/6 instituant auprès du Conseil consultatif du Logement une commission paritaire locative.
Cette commission paritaire locative est composée d’un nombre pair de membres dont la moitié sont des représentants des bailleurs et l’autre moitié des locataires. Elle est compétente pour rendre des avis sur la justesse du loyer pour les baux d’habitation en Région bruxelloise. La commission paritaire locative peut être saisie par une des parties ayant conclu le bail, ou par un mandataire. Elle rend son avis dans les deux mois à compter de sa saisine. Son avis comprend, le cas échéant, une proposition de loyer révisé. Sauf accord contraire des parties, le loyer révisé à la suite d’une conciliation proposée par la commission paritaire locative produit ses effets à compter du premier jour du mois qui suit la date de saisine de la commission. Les avis motivés de la commission paritaire locative sont non contraignants.
L’article 5 de l’ordonnance, qui a introduit un point 4bis° à l’article 218, § 1, du Code bruxellois du Logement, lequel a imposé de préciser dans tout bail d’habitation le loyer de référence du bien visé (ou l’intervalle de loyers autour du loyer de référence du bien visé), tel que repris dans la grille indicative des loyers.
L’article 6 de l’ordonnance, qui a inséré en outre à l’article 218, § 5, du Code bruxellois du Logement, un point 4bis° précisant que le Gouvernement rédigerait une annexe contenant une explication des dispositions légales relatives à la grille indicative de référence des loyers.
L’article 7 de l’ordonnance, disposition centrale s’il en est, qui a inséré un nouvel article 224 dans le Code bruxellois du Logement, est libellé comme suit :
« Un loyer est présumé abusif lorsqu’il :
1. dépasse de vingt pour cent son loyer de référence. Cette présomption peut être renversée lorsqu’il est établi que la différence entre le loyer pratiqué et le loyer de référence est justifiée par des éléments de confort substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement ;
2. n’excède pas de vingt pour cent son loyer de référence mais qu’il accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement ».
L’entrée en vigueur, le 1e mai 2025, des dispositions de l’ordonnance du 28 octobre 2021 interdisant les loyers abusifs
En vertu de l’article 14, alinéa 3, de l’ordonnance du 28 octobre 2021, les articles 8 à 13 de cette même ordonnance ne sont pas entrés en vigueur en décembre 2021, mais seulement ce 1er mai 2025, suite au vote de l’ordonnance du 4 avril 2025 par le Parlement bruxellois.
La raison principale pour laquelle le législateur bruxellois avait décidé de ne pas faire entrer immédiatement en vigueur ces dispositions résidait dans le fait que la grille indicative des loyers – permettant de déterminer le « loyer de référence », et dès lors le loyer « abusif » – ne présentait pas un niveau satisfaisant de fiabilité et de représentativité.
Selon le législateur de 2021, en effet, « Afin de garantir un niveau satisfaisant de représentativité et de fiabilité de la grille indicative, il est indispensable de collecter davantage de données et de pouvoir disposer, dans les meilleurs délais, d’un échantillon avoisinant 10 % de l’ensemble des baux du marché locatif bruxellois », soit un échantillon composé d’environ 30.000 baux.
Les articles 8 à 13 de l’ordonnance – dont le texte avait été voté mais dont la date d’entrée en vigueur n’avait donc pas été fixée – avaient, d’une part, inséré dans le Code bruxellois du logement un article 224/1 (article 8), et, d’autre part, apporté des adaptations et suppressions aux articles 240 et 241 du CBL (article 9 à 13).
C’est l’article 224/1, fondamental, qui prévoit l’interdiction des loyers abusifs, et qui est donc entré en vigueur ce 1er mai 2025.
Il s’intitule « Obligation faite au bailleur de ne pas proposer un loyer abusif et révision du loyer abusif ».
En substance, il prévoit que lorsqu’un bailleur signe avec un locataire un bail dont le loyer est abusif au sens de la réglementation (art. 224 du CBL), le locataire – ou un mandataire de son choix – peut solliciter la révision de ce loyer.
La demande de révision peut être introduite – le cas échéant après minimum deux ou trois mois suivant le début du bail, en fonction de la durée de celui-ci – soit devant la commission paritaire locative, pour avis, soit directement ou à défaut d’accord entre les parties suite à la conciliation organisée par la commission paritaire locative, devant le Juge de paix.
Lorsque le Juge de paix est saisi, il peut solliciter de la commission paritaire locative que celle-ci lui transmettre l’avis déjà rendu, ou qu’elle établisse un avis sur le caractère abusif ou non du loyer.
Le jugement qui fait droit à une révision du loyer peut produire ses effets au plus tôt quatre mois avant la date de la saisine du Juge de paix sur cette question.
Cependant, si le bailleur a déjà été contraint, antérieurement, de réviser un loyer abusif pour le même bien, le loyer révisé produira alors ses effets à compter du premier mois du contrat de bail avec le nouveau locataire, et ce dernier pourra saisir la commission paritaire locative ou le Juge de paix sans même attendre, le cas échéant, l’écoulement du délai de deux ou trois mois suivant le début de son bail.
Les articles 240 et 241 du Code bruxellois du Logement concernent quant à eux les possibilités de révision de loyer aux échéances triennales, ainsi que la question des baux successifs de courte durée conclus avec des preneurs différents. A dessein, l’on n’examine pas davantage ces deux points dans le cadre de la présente note.
2. Les éléments constitutifs de la « grille indicative des loyers » et du « loyer de référence »
Ces éléments sont évidemment essentiels, en pratique.
On l’a vu, le « loyer de référence » est « le loyer médian repris dans la grille indicative des loyers pour le bien visé, instituée par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 octobre 2017 instaurant une grille indicative de référence des loyers » (article 2, § 1, 37° du Code bruxellois du Logement), tandis que la « grille indicative des loyers » est la grille indicative de référence des loyers arrêtée par le Gouvernement bruxellois, qui « est construite sur la base de critères internes et externes au logement tels que sa localisation, son état, sa superficie habitable ou le nombre de pièces existantes. Le Gouvernement peut également prévoir que les loyers qui ressortent de cette grille soient majorés ou minorés en fonction d’autres critères comme la présence d’éléments de confort ou d’inconfort particulier » (article 2, § 1, 36° et article 225 du Code bruxellois du Logement).
Que prévoit l’arrêté d’exécution du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 octobre 2017 (modifié par les arrêtés des 30 juin 2022 et 6 octobre 2022) ?
Son article 2, § 2, signale que « La grille est construite de façon empirique notamment sur la base des données issues d’enquêtes sur les loyers à Bruxelles » et que « d’autres bases de données peuvent néanmoins être utilisées conjointement ou à la place à ces enquêtes si elles sont pertinentes et qu’elles permettent d’augmenter la fiabilité des données utilisées par la grille ».
L’article 3 précise que « Les loyers repris au sein de la grille tiennent notamment compte :
1° de la superficie du logement ;
2° de la localisation du logement ;
3° de l’état du logement ;
4° du type de logement et du nombre de chambres disponibles ».
L’article 4 stipule que « Les loyers repris au sein de la grille en application des critères 2° à 4° visés à l’article 3 constituent les loyers médians par mètre carré de surface habitable minorés ou majorés de 10 % ».
L’article 5 prévoit que « Les loyers dégagés en application des articles 3 et 4 peuvent le cas échéant être majorés d’une somme forfaitaire déterminée par le Ministre compte tenu de la présence d’éléments de confort ou de standing particulier.
Il peut s’agir de :
1° la présence d’une deuxième salle de bain ;
2° la présence d’un garage ;
3° un haut degré de performance énergétique ».
L’article 6 dispose que « Les loyers dégagés en application des articles 3 à 5 peuvent le cas échéant être minorés d’une somme forfaitaire déterminée par le Ministre compte tenu de la présence d’éléments d’inconfort particulier.
Il peut s’agir de :
1° la présence de convecteurs en lieu et place d’un système de chauffage central ;
2° l’absence d’outils de régulation thermique tels qu’un thermostat ou des vannes thermostatique ;
3° l’absence d’espaces récréatifs tels qu’une terrasse, une cour, un jardin ou un balcon ;
4° un faible niveau de performance énergétique ».
L’article 7 prévoit que « le choix des critères visés aux articles 5 et 6 est déterminé par :
1° l’impact qu’ils ont sur la formation du loyer ;
2° la disponibilité et la pertinence des données qui les concernent au sein des bases de données visées
à l’article 2, § 2 ;
3° le fait qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une politique sociale ou environnementale menée par le
Gouvernement ».
L’article 8 stipule que « Le montant des sommes forfaitaires visées aux articles 5 et 6 est obtenu au moyen d’une analyse de régression statistique de type hédonique sur la base des mêmes enquêtes de loyers que celles visées à l’article 2, § 2.
La somme forfaitaire attribuée peut différer du résultat de cette analyse dans le cadre de l’hypothèse visée à l’article 7, 3° ».
L’article 9 signale que la grille est révisée annuellement et qu’à défaut, les loyers repris au sein de la grille sont indexés conformément à l’article 1728bis du Code civil (ancien).
Un outil (logiciel) créé par le Gouvernement bruxellois pour déterminer le loyer de référence
Sur base des données collectées, un outil (logiciel) a été créé et mis en place par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, adapté en octobre 2022, visant à déterminer un loyer de référence (loyer médian) ainsi qu’un loyer indicatif de référence (marge de 10 % autour du loyer médian) pour chaque logement situé en Région bruxelloise, en fonction de réponses apportées à treize questions.
Ces questions, de trois ordres, sont les suivantes :
- Les caractéristiques principales (éléments essentiels du bien)
– Le type de logement (studio, appartement ou maison)
– Le nombre de chambre(s)
– La superficie habitable (superficie plancher totale)
– L’année de construction du logement
2. Les variables additionnelles (visant à appliquer un bonus ou un malus au loyer indicatif de référence), étant :
– Les options du logement :
-
-
- La présence ou non d’un chauffage central
- La présence ou non d’une régulation thermique (thermostat ou vanne thermostatique)
- La présence ou non de double-vitrages (sur toutes les fenêtres du logement)
- La présence ou non d’une 2eme salle de bain (une salle de douche distincte peut être considérée comme une 2ème salle de bain)
- La présence ou non d’espaces récréatif (par exemple un jardin, une terrasse, un balcon, …)
- La présence ou non d’espaces de rangement (par exemple un grenier ou une cave)
-
– Le score du certificat de performance énergétique du logement et la présence ou non d’un ou plusieurs garages avec le logement.
Le niveau du certificat PEB valorisera ou dévalorisera le loyer de référence (un niveau « E » étant neutre, un niveau « A » valorisant le loyer de référence de 164,16 €, tandis qu’un niveau « G » dégradant le loyer de référence de 21,89 €).
3. La localisation précise du logement.
Celle-ci fournira « l’indice de difficulté du quartier » (de -2 pour les quartiers sans difficulté à 4 pour les quartiers avec beaucoup de difficultés), lequel influencera également le loyer de référence.
Selon le Service Public Régional de Bruxelles – Bruxelles Logement :
D’une part, la grille des loyers a été adaptée en octobre 2022 afin de rendre plus transparent le calcul du loyer de référence.
Deux principales modifications de méthodologie ont été effectuées :
– Un calcul du loyer de référence sur base d’une équation.
Les observations démontrent l’absence de progression linéaire du loyer en fonction de la surface. Le loyer calculé est plus juste, en particulier pour les petits et les grands logements ;
– Une plus grande précision au niveau des quartiers.
Les secteurs statistiques sont à présent utilisés. Ils sont en lien avec un indice de difficulté.
D’autre part, les données utilisées pour le calcul des loyers de référence s’appuient sur 14.042 enquêtes menées auprès de locataires en 2017, 2018 et 2020 (dans le cadre de trois Observatoires des Loyers).
Le calcul du loyer de référence s’appuie ainsi sur des loyers réellement pratiqués, tels qu’ils ont été communiqués par les locataires.
Le calcul du loyer de référence se base ensuite sur :
1. des équations dans lesquelles interviennent :
– La superficie ;
– La localisation qui donnera l’indice de difficulté du quartier ;
– L’état du logement déterminé par la présence ou non de double vitrage et l’année de construction. Il varie de 1 à 3 :
1 = avant 2000 / pas de double vitrage
2 = avant 2000 / avec double vitrage
3 = après 2000 / avec double vitrage
2. des variables additionnelles (telles que listées ci-avant).
Pratiquement et concrètement, après avoir répondu aux différentes questions pour un logement déterminé, l’outil (logiciel) créé par le Gouvernement bruxellois fournit le loyer de référence (loyer médian) ainsi que le loyer indicatif de référence (marge de 10 % autour du loyer médian).
Une présomption de loyer abusif réfragable et une possibilité de loyer abusif même si le loyer fixé dans le bail ne dépasse pas de 20 % le loyer de référence
Si le loyer fixé par les parties lors de la conclusion du bail est supérieur de 20 % ou plus au loyer de référence (loyer médian) déterminé par l’outil (logiciel) régional, il sera présumé abusif.
Cette présomption est toutefois réfragable, et pourra être renversée par le bailleur qui peut justifier d’éléments de confort substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement.
Par « éléments de confort substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement », il faut entendre des éléments de confort spécifiques au logement ou à son environnement.
De même, le loyer fixé par les parties lors de la conclusion du bail pourra également être présumé abusif même s’il n’excède pas de 20 % le loyer de référence obtenu, mais qu’il accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement.
Selon les travaux préparatoires de l’article 224 du Code bruxellois du Logement, « Il importe de préciser que ces éléments de confort substantiels doivent concerner des caractéristiques intrinsèques du logement ou de son environnement, qui ne sont pas déjà explicitement prises en compte dans le cadre de l’estimation du loyer de référence fournie par la grille indicative des loyers.
Sans prétention à l’exhaustivité, peuvent par exemple être considérés comme des éléments de confort substantiels, une villa quatre façades, une maison de maître, une architecture remarquable ou prestigieuse, une cheminée, une cuisine de standing, un parquet en bois massif, de nombreuses pièces d’agrément ou encore une installation domotique.
Il en va de même d’un environnement immédiat particulièrement qualitatif (à titre d’exemple non exhaustif : abondance d’espaces verts, calme particulier, vue remarquable) qui peut être pris en compte pour justifier la hauteur du loyer.
À l’inverse, le montant du loyer peut être jugé excessif même lorsqu’il ne dépasse pas le seuil des vingt pour cent, s’il est établi, que le logement présente des défauts substantiels de qualité, c’est-à-dire des caractéristiques de qualité sensiblement inférieures à la moyenne, à condition que ceux-ci ne soient pas imputables au preneur.
Rappelons dans ce cadre que conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle, dans l’hypothèse où le ou les défauts de qualité substantiels sont imputables au preneur, le bailleur peut demander des indemnités compensatoires à titre de réparation du dommage subi devant le juge compétent.
Pour l’application de l’article 7 (c’est-à-dire l’article 224 du Code bruxellois du Logement), il importe de préciser que ces défauts substantiels non imputables au preneur doivent concerner des caractéristiques intrinsèques du logement ou de son environnement, qui ne sont pas déjà explicitement prises en compte dans le cadre de l’estimation du loyer de référence fournie par la grille indicative des loyers.
De nombreux défauts de qualité substantiels intrinsèques ne relevant pas des normes minimales de sécurité, de salubrité ou d’équipement peuvent en effet justifier des minorations de loyer. Ces caractéristiques peuvent notamment être à titre d’exemple l’absence de compteur électrique individuel, l’absence de compteur d’eau individuel, l’absence de pièce privative réservée au sanitaire, une simple salle de douche exiguë (au lieu d’une salle de bain), l’absence d’un appareil de chauffage dans une pièce, l’absence d’équipements de cuisine, d’ascenseur ou encore l’absence de parlophone (si le bien est situé à l’étage).
De même, un environnement immédiat particulièrement peu qualitatif (à titre d’exemple non exhaustif : pollution sonore considérable, odeurs nauséabondes fréquentes ou permanentes) peut également être pris en compte pour justifier qu’un loyer soit déclaré abusif, même s’il ne dépasse pas le loyer de référence de vingt pour cent ».
3. Que penser de la réforme ?
A l’issue de l’examen approfondi des différents textes réglementaires, plusieurs réflexions viennent à l’esprit du praticien, passionné par la « chose immobilière » au sens large.
Un. L’ordonnance du 4 avril 2025, se bornant à annoncer laconiquement l’entrée en vigueur le 1er mai 2025 des articles 8 à 13 de l’ordonnance du 28 octobre 2021, constitue une véritable réforme, dont l’enjeu économique et sociétal est, sur le papier, considérable.
Il n’est cependant pas aisé de prédire si l’entrée en vigueur de la nouvelle norme va engendrer, en pratique, un nouveau contentieux judicaire extrêmement important ou non. L’on pense en tout cas que les demandes en révision de loyers seront davantage initiées à titre de demande reconventionnelle, par un locataire, dans le cadre d’une action judiciaire principale introduite à son encontre par son bailleur, pour arriérés locatifs…
Deux. Il est sans doute regrettable qu’une telle réforme soit votée en affaires courantes, alors que la formation d’un nouveau Gouvernement à Bruxelles semble toujours dans les limbes, et qu’une (large) majorité des partis ayant soutenu le texte sera peut-être dans l’opposition de la prochaine coalition bruxelloise.
Trois. L’on ne peut que se réjouir de l’existence de la commission paritaire locative et des avis qu’elle pourra donner pour tenter de concilier les parties ou pour éclairer le Juge de paix. Car des abus existent, clairement.
On forme toutefois le vœu que cette commission ne versera pas dans l’excès, en qualifiant trop hâtivement un loyer d’abusif, alors que le bien donné en location comprend manifestement des éléments de confort spécifiques au logement ou à son environnement. Car des bailleurs méticuleux et soucieux de la (grande) qualité du bien qu’ils proposent à la location existent aussi, et constituent d’ailleurs sans toute une (très) large majorité.
Quatre. Les critères nombreux – et en particulier les équations et pondérations – mis en place par le législateur pour déterminer le loyer de référence de chaque logement à Bruxelles se révèlent complexes et peu lisibles, à tout le moins pour l’observateur ordinaire, tout avocat expérimenté qu’il soit.
Il est par ailleurs, en tout état de cause, assez déplorable que les données utilisées par le législateur bruxellois pour le calcul des loyers de référence s’appuient sur un nombre d’enquêtes beaucoup trop limité, et, surtout, que ces enquêtes aient été menées en 2017, 2018 et 2020, alors qu’il est absolument évident que les loyers réellement pratiqués ont considérablement évolué, bien entendu depuis 2017, mais également avec certitude depuis 2020.
En ce sens, l’on peut comprendre les partis politiques qui avaient, a minima, sollicité le report de deux années de l’entrée en vigueur des articles 8 à 13 de l’ordonnance du 28 octobre 2021, afin de permettre à la grille indicative de référence des loyers d’atteindre un niveau satisfaisant de fiabilité et de représentativité, ce qui était d’ailleurs une exigence importante posée par le législateur de 2021 pour mettre en œuvre la réforme.
Cinq. Lors de litiges et d’actions en révision de loyer portés devant les juridictions cantonales, qui ne manqueront pas d’intervenir, l’on ne doute pas que les Juges de paix feront preuve de bon sens et apprécieront les situations au cas par cas, au besoin éclairés par l’avis de la commission paritaire locative.
Une jurisprudence foisonnante risque ainsi de se développer, précisant les éléments – autres que ceux explicitement pris en compte dans le cadre de l’estimation du loyer de référence fournie par la grille indicative des loyers – qui relèvent soit de confort spécifique au logement ou à son environnement, soit, au contraire, de défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement.
L’on songe notamment, comme éléments de confort spécifiques : à des charges communes faibles ou bien maîtrisées (notamment grâce à une gestion efficace de la copropriété) ; à une vue agréable et dégagée (par exemple sur un parc, une avenue arborée, ou des toits de Bruxelles) ; à une bonne orientation solaire du logement (séjour orienté sud ou ouest, garantissant une belle luminosité) ; à une distribution intérieure du logement optimale (pas de couloirs inutiles, circulation fluide entre les pièces, chambres à coucher à l’arrière, au calme) ; à une micro-localisation du bien optimale, par exemple dans une rue peu passante ou en cul-de-sac (réduction des nuisances sonores) ; à la présence d’un ascenseur moderne et aux normes dans un immeuble de plusieurs étages ; à un accès sécurisé à l’immeuble ou au logement (vidéophonie, porte blindée, contrôle d’accès) ; à la proximité immédiate de transports publics bien desservis, sans nuisances associées ; à la présence dans le bien de matériaux nobles ou d’éléments d’architecture anciens conservés (parquets massifs, moulures, cheminées décoratives) ; à une cuisine haut de gamme hyper-équipée ; à des équipements sanitaires de qualité et récents ; à des parties communes de l’immeuble dans lequel se trouve le logement propres et bien entretenues ; à la proximité d’espaces verts accessibles à pied sans devoir traverser d’axes routiers majeurs ; à un environnement calme en soirée et durant le week-end (absence de bars ou de lieux festifs à proximité immédiate).
A contrario, des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement pourraient être notamment : la présence d’un night-shop ou d’un café ouvert tard le soir/la nuit, à proximité immédiate de l’immeuble dans lequel se trouve le logement ; la présence juste à côté du bien d’un restaurant avec hotte bruyante ou odeurs ; un logement situé au rez-de-chaussée donnant directement sur la rue, sans recul ou sécurité ; un logement enclavé avec peu ou pas de lumière naturelle ; des chambres mal agencée, avec par exemple une faible largeur et une longueur disproportionnée ; des parties communes de l’immeuble dans lequel se trouve le logement qui sont vétustes ou mal entretenues (peinture écaillée, absence de chauffage, éclairage insuffisant) ; la présence de graffitis, dépôts sauvages ou signes d’insécurité récurrents dans la rue dans laquelle se trouve le logement ; une absence d’ascenseur pour un logement situé au 4ème étage d’un immeuble ; une cuisine vétuste ou exiguë, mal équipée et agencée, sans aération naturelle ; un logement se trouvant dans une zone de forte affluence touristique ou de grands événements (par exemple juste à côté de Forest National) ; un appartement dont l’équipement sanitaire est obsolète ou en mauvais état.
Six, et enfin. A l’instar des réserves déjà exprimées par plusieurs observateurs avertis du marché immobilier bruxellois, l’on craint que la nouvelle réglementation n’atteigne pas les objectifs pour lesquels elle a été votée, étant d’assurer un accès à des logements à loyer raisonnable et permettre la protection des intérêts des locataires dans une situation caractérisée par une pénurie de logements décents et abordables.
L’on pense en effet que la problématique majeure réside toujours, fondamentalement, dans le déséquilibre structurel entre l’offre et la demande sur le marché locatif bruxellois